Ce jour là…

Par Lucie

Le 28 septembre 1458, des modifications sont apportées à la déclaration fiscale d’un certain Peyre Pontier, travailleur du cuir et habitant de Montpellier. Dans la ville, plusieurs types d’impôts étaient levés et donnaient lieu au dressement de registres permettant d’effectuer le suivi. Parmi ces impôts, certains étaient proportionnels à la fortune des habitants, fortune qu’il convenait alors de détailler pour en estimer la valeur.

Les registres servant à cet effet sont appelés « compoix » et sont conservés pour la période médiévale à partir de 1380. Outre leur intérêt pour l’histoire sociale, puisqu’ils permettent d’évaluer la fortune des habitants, ils contiennent de nombreuses informations sur les biens « immeubles » possédés par les contribuables à cette époque. « Biens immeubles » signifie les maisons, les terres, vergers et vignes, les greniers, bref, tout ce qui compose les biens fonciers. Je fait écho à l’article de Karl sur les sources foncières du Québec, pour confirmer leur intérêt dans bien des champs de l’histoire. L’étude de ce que l’on appelle les « confronts », qui permettent de localiser précisément un bien, a permis à de nombreux archéologues de reconstituer l’urbanisme de Montpellier aux XIVe et XVe siècles.

Revenons à Peyre Pontier. La première estimation de ses biens remonte à 1448. Il est alors résident du quartier Saint-Paul, assez huppé, et ne possède pas moins de six maisons (hostals). Il a aussi plusieurs champs, des vignes, un verger, des prés. Ses biens « meubles », c’est-à-dire l’argent, les bijoux et autres objets de valeur dont il dispose, sont estimés pour 50 livres fiscales. Pour l’ensemble de ses biens, il est évalué à hauteur de 177 livres, ce qui l’inclut dans la catégorie des artisans aisés.

Dix ans plus tard, une note est ajoutée à sa déclaration, indiquant que les biens de Peyre ont été saisis par la cour du Petit-Scel royal de Montpellier, une cour réglant les affaires de dettes. Peyre est décédé en laissant des dettes importantes et devant l’ampleur du désastre, son fils Bernat a refusé l’héritage. La cour s’est emparée des biens pour satisfaire les créanciers. L’affaire n’est que peu expliquée mais on comprend à la lecture du texte que, parmi les dettes, figure la dot de l’épouse de Peyre et celle de l’épouse de Bernat, qu’il faut, du point de vue juridique, leur restituer dans l’année.

Une même déclaration fiscale peut être interrogée de multiples façons : étude de la répartition et de la composition des fortunes, approche démographique et sociologique des populations, analyse topographique et archéologique, histoire de l’endettement et de la justice, histoire de la famille aussi, car les drames qui touchent les groupes de parenté apparaissent en filigrane dans les actes. Les archives fiscales ont longtemps été accaparées par l’histoire économique, dans le sens où c’est leur intérêt pour l’étude des fortunes qui a primé et masqué leurs autres richesses. Elles méritent sans nul doute que l’on y revienne, de nouvelles questions en tête.

Source : Archives municipales de Montpellier, registre Joffre 259, compoix de Saint-Paul, 1448, fol. 167. Image : Archives municipales de Montpellier, registre Joffre 242, compoix de Saint-Mathieu, 1404, fol. 46.

Pour une centralisation ouverte des organismes historiques

Ce texte va probablement m’attirer les foudres de certains, mais je crois que ça mérite d’être dit.

La concertation et la mise en commun des ressources des milieux historiques en région doivent être mises de l’avant pour éviter que les petits joueurs ne disparaissent. Oui, c’est une vision centralisatrice et qui en choque plus d’un, mais il est impératif que ce soit fait plus tôt que plus tard.

Je m’explique. Prenons l’exemple de l’Estrie. On y compte 26 organismes (25 plus BAnQ-Estrie) voués à la conservation du patrimoine et de l’histoire (sociétés d’histoire, centres d’archive et autres), selon le site de la Fédération des sociétés d’histoire du Québec[1]. On y compte aussi douze musées reconnus par le ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCCQ) dont neuf d’entre eux sont à caractère historique[2]. Même si certains organismes sont à la fois musée et société d’histoire (Musée Colby-Curtis, Société d’histoire de Sherbrooke et Uplands), on compte quand même 32 organismes dans la région qui se partage une enveloppe plutôt mince. Les musées reconnus ont droit à un budget de roulement annuel de la part du MCCQ, mais les sociétés d’histoire et les autres organismes n’en ont pas. Une partie de ceux-ci ont toutefois droit à un petit budget de fonctionnement de la part de leur municipalité respective, mais au final, ils doivent constamment faire des demandes de subvention pour chaque projet et ne peuvent pas se payer un employé à temps plein ou partiel.

Ce que j’essaie d’insinuer par ceci, c’est que les 32 institutions se font constamment compétition pour obtenir une partie infime de l’enveloppe déjà restreinte de subventions gouvernementales afin de mettre en oeuvre leurs projets. Dans notre contexte d’austérité budgétaire, je pense donc qu’il est impératif qu’une concertation soit mise en place pour éviter cette compétition et qu’un processus soit entamé à court et à moyen terme pour une mise en commun des efforts et des ressources dans le domaine historique.

J’entends par là qu’à long terme, certaines institutions devront fusionner avec d’autres pour ne pas disparaitre. J’ai déjà lancé l’idée (mais je ne suis pas le premier) de créer un centre de conservation et d’archives pour toute la MRC de Coaticook qui regrouperait toutes les institutions publiques et communautaires de la région ainsi que le Musée Beaulne et la Société d’histoire. Oui, certains d’entre eux perdraient de leurs pouvoirs, mais y gagneraient au change puisque leur mission de conservation serait assurée à long terme et ils auraient plus de temps pour d’autres tâches.

Au niveau régional, un genre de fédération centralisée, composée de représentant de chaque institution, serait responsable d’établir les priorités, de maintenir la concertation et la mise en commun des efforts entre les institutions et de gérer l’enveloppe globale attribuée par le MCCQ. Il est évident que les acteurs du milieu sont beaucoup plus en mesure d’évaluer les besoins que des fonctionnaires (désolé mes amis fonctionnaires, je vous aime beaucoup quand même). Cette fédération servirait aussi à centraliser les demandes de subventions par projet, enlevant du même coup un poids énorme des épaules des directeurs d’institution qui pourront ainsi s’occuper de mettre en oeuvre les projets.

En conclusion, je vous invite à réfléchir sur la question et proposer des solutions. Ce que j’avance n’est pas sans faille et je ne veux que susciter le débat pour arriver à des solutions viables à long terme. Merci de partager!

Notes :

[1] http://www.histoirequebec.qc.ca/Regions.asp?idR=6

[2] http://goo.gl/Bu8PyX

Ce jour là…

Par Lucie

Le 13 septembre 1498, Louis XII fait rédiger des lettres royaux à l’intention de ses officiers en poste à Montpellier, leur demandant de poursuivre tous les crimes commis dans deux étuves illicites. D’entrée, la lettre rappelle aux consuls – le conseil municipal – que les « filles publicques » doivent se tenir dans des lieux réservés, et non dans des étuves, puisque les bains sont destinées « au service et sancté de corps humain« . Il existe à Montpellier à la fin du XVe siècle deux étuves réputées pour la prostitution qui s’y déroule, et qui sont l’objet de ces lettres.

Ces étuves illicites sont situées dans des lieux bien particuliers. Les unes, dites « de Malpel » sont dans le faubourg universitaire, « près de l’estude et université« , comme le formule la lettre patente, les autres, dites « de Mazi », sont « vis à vis de l’eglise de l’Observance« , juste à côté du couvent des Franciscains. La clientèle afflue dans les étuves, au grand dam de certains habitants et des autorités. Ainsi, le texte déplore que « les escolliers sont desbauchez et se desbauchent tous les jours« , et indique que « le service divin est maintesfois interrompu en l’eglise de l’Observance ». Pire encore, ces activités « donnent mauvaiz exemples aux filles et femmes marriées et vefves« , tandis qu' »à l’ombre desdites estuves, se commectent beaucoup de murtres, larrecins de nuit et pilleries« . Le roi exige donc que les prostituées soient délogées de ces étuves et habitent « au lieu publique« , qui est dévolu à la prostitution licite.

L’histoire de la prostitution médiévale est encore très dynamique aujourd’hui, tant au travers d’études locales que d’études plus globales et comparatistes. Ces recherches portent et ont porté sur l’origine sociale des prostituées, les différents lieux et types de prostitution, les rapports entre autorités municipales, les autorités royales et les prostituées, sur les représentations de la prostitution et les discours à son sujet. Voici quelques références pour ceux qui désirent en savoir plus :

R. Mazo-Karras, Common Women: Prostitution and Sexuality in Medieval England, Oxford, Oxford University Press, 1996.

L. Otis-Cour, Prostitution in Medieval Society: the History of an Urban Institution in Languedoc, Chicago, University of Chicago Press, 1985.

J. Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, Flammarion, 1988.

J. Rossiaud, Amours vénales, la prostitution en Occident, XIIe-XVIe siècle, Paris, Aubier, 2010.

Source : Archives municipales de Montpellier, Louvet 147, 13 septembre 1498 et Archives départementales de la Haute-Garonne, B 2010, 29 avril 1499, fol. 239v-240. Les deux documents sont transcrits dans L. Otis-Cour, Prostitution in Medieval Society…, p.120-121.

Illustration : Valère Maxime, Faits et dits mémorables, Bibliothèque nationale de France, Arsenal, manuscrit 5196 fol. 372.

Ce jour là…

Par Lucie

Le 16 août 1434, Bénédicte Calmete et Anthony Touchard se marient et concluent un contrat de mariage devant le notaire Giraud Girard. Bénédicte a reçu l’accord de Blasin, son père et de Pierre, son frère, tous deux tailleurs de pierre et habitants de Montpellier. Anthony, le fiancé, est lui aussi tailleur de pierre. Le père de Bénédicte ainsi que son frère et son nouveau mari mettent leurs biens en commun. Tous vivront ensemble, avec les épouses de Blasin et de Pierre, les six formant un seul et même ménage. Si dans les quatre années, le jeune couple ne parvient pas à s’entendre avec les parents de Bénédicte, son frère et l’épouse de ce dernier, Anthony pourra reprendre ses biens et partir avec son épouse. Cette communauté de vie, formée autour du mariage de Bénédicte et Anthony, s’explique par les avantages économiques retirés de la pratique collective d’un même métier.

Source et illustration : Archives départementales de l’Hérault, 2 E 95-538, Giraud Girard, 16 août 1434, fol. 92.

Ce jour là…

Par Lucie

Le 2 août 1421, Pierre de Veyrargues et Johan Salve, tous les deux charpentiers de Montpellier, concluent un contrat de société, c’est-à-dire qu’il formeront désormais une association professionnelle. Le contrat aura une durée d’un an à partir du premier septembre. Chacun place 40 livres tournois dans l’affaire. Ils loueront en commun une maison et partageront tous les frais de bouche et de boisson. Cette association dépasse le simple investissement financier et le travail en commun, puisque les deux hommes vivront ensemble.

Source et illustration : Archives départementales de l’Hérault, E 95/463, Arnaud Vitalis, 2 août 1421, fol. 92.

Le débarquement et les musées : partie 5. Conclusion

Maxime a fini son petit tour en Normandie et nous livre son bilan.

Conclusion

Les visites sont terminées, le voyage en Normandie également. Beaucoup de découvertes, de surprises, de déceptions, mais surtout, des questions restent. C’est avec l’esprit et le cerveau embrouillés que je trace mes pas dans le sable normand, traces friables, dont le temps ne gardera aucun souvenir, aucune mémoire. Des questions m’assaillent et je n’ai que peu de réponses.

Pourquoi glorifier la mort de tant d’hommes ? N’est-ce pas une apologie de la violence?  Pourquoi encourager la mémoire d’un conflit ? Quel est le devoir de l’historien à travers tout cela ? Et le devoir de mémoire du citoyen ? Est-ce que l’on cherche à se rappeler pour éviter de répéter cette tragédie ? (Et encore, n’est-ce pas là une utopie ?) Des questions doublement importantes pour nous Québécois, dont la devise du « Je me souviens » hante notre mémoire et notre histoire.

Il importe de distinguer les deux et je crois que c’est à l’historien de l’accomplir dans son quotidien. Malheureusement, la muséologie ne peut s’empêcher de flirter entre mémoire et histoire, car elle doit attirer le public, monsieur/madame tout le monde, qui constitue un marché beaucoup plus lucratif que celui des professionnels de l’histoire (on arrête ici la discussion sur les finances de ceux qui pratiquent l’histoire…).

Je crois avoir démontré par mes chroniques que la muséologie, bien qu’elle apporte des faits de l’histoire, choisit pour le visiteur les éléments à retenir et que cette interprétation, juste ou erronée, vient influencer la mémoire que les gens conservent sur les débarquements en Normandie. Vous me direz peut-être que je ne vous apprends rien de nouveau, certes, mais il importe de se souvenir que les choix effectués, et pas seulement en muséologie, amènent des visions qui parfois sont plus des interprétations que des vérités absolues.

Illustration : Plage d’Arromanches en Normandie où subsistent des pontons utilisés pour le débarquement. Source

Le débarquement et les musées : partie 4. Le Centre Juno Beach

Le périple de Maxime en Normandie se poursuit. Après une présentation du voyage, la visite à Caen du Mémorial, un parcours des plages du débarquement, notre guide s’arrête au Centre Juno Beach (site officiel).

Le Centre Juno Beach : Un musée en quête de son identité

Une fois arrivé à Courseulles-sur-Mer, nom du village où se situe le musée consacré aux soldats canadiens , je dois contourner l’odorant port avant de pouvoir me stationner à proximité du Centre Juno Beach. Ma curiosité me pousse à explorer autour du musée plutôt que d’y entrer tout de suite. Côté Ouest, se trouve un petit « jardin » de croix commémorant les soldats tombés lors du débarquement de Juno Beach. Je me suis surpris à rester silencieux, signe de respect envers ces soldats, pour la plupart morts entre 18 et 24 ans. Autre temps, autres mœurs, c’est ce que dit l’expression, non ? Côté Nord, deux pièces d’artillerie sont en place et donnent du caractère (pour ne pas dire de la virilité) à l’entrée du musée. Je vois bien qu’il y a un bunker et que les plages ne sont pas trop loin, mais je préfère visiter le musée avant d’aller plus en avant.

Une fois à l’intérieur, je suis accueilli en français par une jeune dame à l’accent anglophone. (Désolé, son nom m’échappe, mais bien sympathique.) Deux visites sont possibles. Premièrement, la visite du musée en soit, ou une visite guidée à l’extérieur dans laquelle un guide nous explique différentes choses sur le Centre, le débarquement et les soldats canadiens. J’ai choisi de tout faire et j’ai particulièrement apprécié la visite du bunker et du centre de commandement allemand, ancien bastion inclus dans le Mur de l’Atlantique. (Merci au guide Adam pour les explications!)

J’ai été étonné d’apprendre que le musée de Juno Beach n’existe que depuis une dizaine d’années. Comment est-ce possible ? Comment peut-on avoir pris autant de temps à ériger un musée pour l’un des rares combats que le Canada a effectué, alors que les musées américains et anglais ont rapidement été mis sur pied après la Seconde Guerre mondiale ? Ce sont des vétérans qui ont commencé à recueillir des fonds et ce n’est que par la suite que le gouvernement s’est investi dans l’entreprise. Première source d’étonnement et je n’en suis pas à bout.

La visite de l’exposition débute par un petit film dans une salle qui nous rappelle une barge de débarquement. Intention louable de nous transporter au jour J du 6 juin 1944. Malheureusement, la salle suivante est dédiée à la géographie canadienne et à quelques renseignements sommaires sur la population canadienne d’avant-guerre. Si ce peut être pertinent pour une visite scolaire, qui doit probablement être une clientèle nombreuse pour le musée, cela ennuie rapidement les adultes et brise un peu l’ambiance que l’on cherchait à créer au départ. La preuve, alors que je continuais à explorer cette première salle, les deux couples qui ont commencé la visite au même moment que moi étaient déjà rendu dans la salle suivante, sans avoir fait le tour de la première au préalable. Pour moi, cette salle est un mal nécessaire, car le Canada n’est pas très connu et encore moins ses réalités propres à l’époque des guerres mondiales. Par contre, un effort est nécessaire afin de moins infantiliser cette section de la visite.

Par une économie de moyens tout simplement géniale, on traverse un corridor où sont suspendues de vieilles radios diffusant les différents discours de déclaration de guerre des dirigeants, dont celui de notre premier ministre de l’époque, Mackenzie King. Ce couloir nous amène à une salle où l’on traite des différents préparatifs de la guerre au Canada. Aviation, marine, infanterie et blindés deviennent la priorité canadienne. J’apprends avec étonnement que le Canada, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, passe au quatrième rang des puissances pour l’importance de ces différentes flottes, alors que notre population est relativement faible comparée aux pays européens ou aux États-Unis. Cette section du musée se termine par une salle dédiée aux témoignages canadiens du débarquement et des conditions de vie lorsqu’ils étaient au front.

Un mélange de fatalité, d’humour, de regrets et de souvenirs permet aux visiteurs de saisir furtivement les sentiments qui ont pu habiter les soldats canadiens. Manière efficace pour mettre le visiteur en condition afin de regarder un dernier vidéo, qui se termine sur une petite famille marchant sur les plages normandes. Le père demande si ses enfants savent où ils sont et pourquoi ils sont ici. On entend un début de réponse de la part des enfants et graduellement, tout ce que l’on entend, ce sont les bruits de pas dans le sable et les vagues des spectres des soldats qui accompagnent la petite famille. Le film se termine sur un fondu où l’on peut lire : « Ils marchent avec nous / They walk with us ». J’étais peut-être sensible, mais cette petite mise en scène a suffi pour me rendre tout à fait silencieux lorsque je suis allé rejoindre la plage un peu plus tard. Belle utilisation de la mémoire et de l’histoire qui interpelle et bouleverse le visiteur et l’amène à réfléchir.

Cette émotion, ce dérangement que l’on ressent à la fin du vidéo devrait être la dernière chose qui habite le pèlerin muséologique lorsqu’il termine sa visite. Non, il a fallu qu’une dernière salle soit disposée et dévoile l’éventail des activités et des cultures canadiennes. Je n’ai rien contre la volonté de faire connaître le Canada, mais serait-il possible de choisir cette salle plutôt pour accueillir les visiteurs ? Je n’étais pas vraiment disposé à écouter des vidéos sur comment les Inuits font pour sculpter ou encore sur la fabrication du sirop d’érable (ce ne sont que deux exemples sur une trentaine). Possiblement une exigence de notre gouvernement pour financer le musée…

Heureusement, je n’avais pas encore effectué ma visite guidée extérieure, qui fut enrichissante et pour laquelle je n’ai pas vraiment de commentaires négatifs à faire. Petite anecdote : le centre de commandement allemand n’a été découvert que dans les dernières années, grâce à un chien ! Alors que son maître lui avait enlevé sa laisse, le chien décida de partir explorer les dunes de sable. Il creusa à un endroit et tomba directement sur l’entrée du centre de commandement.

Les gens du Centre Juno Beach ayant été informés, ils organisèrent un rassemblement pour pouvoir déblayer le bâtiment du sable, faute de financement pour employer des professionnels. Le guide, Adam, nous a expliqué qu’il y avait probablement d’autres vestiges enfouis dans le sol. Étant donné l’absence de plans des fortifications dans la zone de Juno Beach et de la continuelle érosion des berges, leurs découvertes dépendent plus de la chance qu’autre chose. Alors que le bunker et le centre de commandement n’étaient pas du tout enfouis dans le sable à l’époque, aujourd’hui on ne voit que leur structure supérieure. Le problème de l’érosion des berges donne des maux de tête aux responsables du Centre et compromet les chances de déterrer d’autres trésors canadiens.

Terminons ce billet avec une information importante : Juno Beach est la seule zone littorale où les régiments canadiens ont attaqué les Allemands. Il s’agissait de la zone du littoral la mieux gardée après Omaha Beach.

Malheureusement la visite s’achève bientôt, le prochain billet refermera le récit de ce voyage.

Illustration : Des soldats membres des Winnipeg Rifles avant de débarquer à Juno Beach, le 6 juin 1944. Image dans le domaine public, Bibliothèque et archives Canada

Le débarquement et les musées : partie 3. Les plages

La visite en Normandie continue. Aujourd’hui on enlève nos souliers pour aller fouler avec Maxime Paquette les plages du débarquement.

Les plages de la Normandie : Des monuments sobres et puissants

Après près de trois heures de visite du Mémorial (clique pour le récit !), mon cerveau regorgeait d’informations à digérer. Quoi de mieux qu’une balade en voiture dans ces cas-là ? À bord d’une rutilante Renault Capture Diesel (à gazole comme le disent les Français), je pars de Caen et me dirige vers les côtes de la Normandie. L’itinéraire est simple, se rendre à la Pointe-du-Hoc qui est la limite entre Utah Beach et Omaha Beach, pour me diriger vers l’Est, où je dois croiser dans l’ordre Gold Beach et enfin Juno Beach qui est ma destination finale. Je n’ai malheureusement pas été voir la plage de Sword Beach, la partie littorale la plus orientale du débarquement, le temps ayant manqué. C’est néanmoins un total de près de 80 kilomètres de plage qu’il m’a été possible de voir. Un paysage tout à fait grandiose, si ce n’est que mon cerveau ne pouvait dissocier les milliers de morts et de litres de sang versés deces étendues d’eau et de sable à perte de vue.

Pendant les vingt kilomètres qui séparent Caen de la plage la plus près, une nouvelle question apparaît à mon esprit. Pourquoi célèbre-t-on un 70e anniversaire ? Pour un homme, être septuagénaire est une réussite modeste, mais pour une commémoration, il me semble que le chiffre a peu de valeur. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, se remémorer cet événement aux vingt-cinq ans me semble tout à fait correct. Alors pourquoi 70 ans ? Va-t-on répéter les commémorations à 75 ans ? Plus je me pose la question et plus je traverse le Calvados (la région, pas la boisson), plus une hypothèse se dessine. La région plutôt agricole n’a pas de réels attraits touristiques, si ce ne sont ses plages et ses produits agroalimentaires. La commémoration en France peut-elle être une opération touristique et marketing pour la région normande ? Sans doute, mais il me semble qu’il y a plus que cela. Est-ce que le traumatisme des bombardements et de l’occupation allemande ont été si importants que les Normands, puis les Français se font un devoir de ne pas oublier ce que leurs ancêtres ont vécu ? Je n’en sais trop rien, mais la question vaut la peine d’être posée, surtout lorsque l’on met en exergue la différence qu’il y a entre les commémorations canadiennes et françaises.

Mon périple m’entraîne enfin sur lesdites plages. Plusieurs monuments sont présents et ils frappent par leur simplicité. Bien que massifs, ils apparaissent minuscules sur ces plages. Chacun des noms des soldats tombés est gravé et la plupart des monuments sont garnis des drapeaux, un rappel à leur mort héroïque et à la gloire nationale. La puissance du symbole est là. Heureusement, car il ne subsiste presque rien des débarquements, si ce ne sont les monuments commémoratifs et, à Gold Beach, les restes du quai construit par les Britanniques.

Je lance quelques informations en rafale ici, afin d’assouvir votre soif d’anecdotes et de terminer cette section de mon voyage :

– Les plages de l’Ouest, Utah et Omaha Beach, sont les zones de débarquement américaines. Omaha Beach a été d’ailleurs la plus meurtrière des plages, puisque 5 000 des 15 000 hommes envoyés y sont morts. La Pointe du Hoc, haute de près de 30 mètres, est escaladée par les premiers Rangers en moins de cinq minutes ! Aujourd’hui, il s’agit d’une zone protégée appartenant à perpétuité aux États-Unis d’Amérique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ayant reçu un bombardement intense, chaque printemps on y découvre des restes d’obus ou même certains qui n’ont pas explosé.

– Gold Beach et Sword Beach sont les zones de débarquement britanniques. La seconde a vu arriver des commandos français et britanniques. Près de 40 000 hommes alliés ont foulé ces plages le 6 juin 1944.

À très bientôt pour la suite !

Illustration : Des troupes de la 9ème brigade canadienne d’infanterie débarquent avec des bicyclettes à Nan White Beach (zone de Juno Beach) à la mi journée du 6 juin 1944, Wikimedia Commons

Le débarquement et les musées : partie 2. Le Mémorial de Caen

Suite du récit de voyage de Maxime Paquette, aujourd’hui le musée du Mémorial de Caen.

Le Mémorial de Caen : Un musée des forces alliées

Toute visite en Normandie doit commencer par un des objectifs du jour J, soit la ville de Caen. Arrivé sur place, je recherche les indications pour me diriger vers le Mémorial de Caen, qui est un musée dédié aux débarquements des forces alliées en Normandie, mais qui retrace également les différents événements de la Deuxième Guerre mondiale. À l’office de tourisme de la ville, ma surprise est grande lorsque je trouve, non seulement l’itinéraire pour m’amener à bon port, mais également plusieurs affiches annonçant divers événements commémoratifs liés au 6 juin spécifiquement, alors que nous sommes déjà à la fin de mois. C’est en effet dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 que les troupes britanniques, canadiennes et américaines ont débarqué sur les côtes et commencé la libération de la France.

Première interrogation : Pourquoi y a-t-il commémoration après la date du 6 juin? N’étant pas du tout familier avec la chronologie des événements, cette question m’agace, car au Canada, le 6 juin a été célébré, certes, mais de manière très sobre. Notre premier ministre s’est présenté là-bas pour participer aux grands événements organisés pour la journée même du 70e anniversaire, et ce, avec d’autres dirigeants occidentaux. Ce n’est que pendant les jours précédents ou suivants que les médias ont consacré du temps d’antenne à ce sujet, mais sans plus. Mon choc est donc grand lorsque je constate qu’en Normandie, et même en France, les commémorations ont lieu jusqu’à la fin octobre. Pourquoi est-ce ainsi ?

J’obtiens une partie de la réponse grâce à une des salles d’exposition du Mémorial. L’histoire de la libération du territoire français ne s’est pas effectuée en un claquement de doigts. Les soldats investis en Normandie ont mis des mois à libérer la région des défenses stratégiques des Allemands, tout cela afin d’aller libérer Paris en août 1944. Une fois les plages occupées et défendues, les Alliés continuent à envoyer des troupes, de l’équipement et des rations de nourriture. À un tel point qu’à la fin de l’opération Overlord, on évalue qu’il y avait un million d’alliés contre seulement 500 000 Allemands. Je comprends donc que ce n’est pas seulement l’histoire, mais également la mémoire des Français qui est marquée par la guerre. Tout est cohérent pour moi, si ce n’est que je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas la même chose au Canada. Est-ce la distance temporelle ou spatiale qui cause ce sentiment de détachement qui m’habite face à des événements qui me sont inconnus ? Posez la question, c’est y répondre, mais je ne suis pas satisfait. J’y reviendrai. Pour l’instant, continuons la visite.

Elle est instructive, car le Mémorial retrace la chronologie des débarquements, explique les causes et les événements qui ont mené à la Seconde Guerre mondiale et la période 1939-1945 n’est pas en reste non plus. On peut visiter un ancien bunker allemand et des jardins destinés à chacune des nations alliées de l’époque. (Bon, j’avoue que je suis passé rapidement à cet endroit). Les dernières salles traitent de la Guerre froide, de la division, puis de la réunification de l’Allemagne, jusqu’à la chute du régime soviétique en 1991.

Je suis plutôt satisfait de ma visite du Mémorial, si ce n’est que j’ai deux critiques à formuler. La première concerne l’ensemble des expositions du musée. J’ai trouvé que les expositions jouaient trop sur le sensationnalisme de la mort des soldats alliés alors que le sens du sacrifice, ce que cela implique pour le soldat et sa famille, n’est pas assez démontré. En effet, je fais partie d’une génération qui n’a pas réellement connu de guerres importantes. On pourrait arguer que les guerres contre le terrorisme en Afghanistan et en Irak le sont, mais mon opinion est qu’elles sont loin d’avoir impliqué autant de ressources et n’étaient pas des guerres totales pour les populations occidentales. Bref, bien que le fil conducteur entre les différentes expositions soit bel et bien les soldats tombés au combat pour la démocratie, on perd le point de mire sur eux au profit des enjeux politiques des périodes soulevées. L’alliance des forces occidentales devient la vedette grandiose et jette quelque peu dans l’ombre ce qui la soutient, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui ont sacrifié leur vie.

Ma seconde critique concerne la section sur les camps de concentration et l’implication allemande dans ce terrible processus. Était-ce absolument nécessaire? Comprenez-moi bien ici, je ne veux pas diminuer l’importance de ce qui est arrivé dans ces endroits. La section est intéressante, soulevée de bonne manière – c’est-à-dire sans démoniser les Allemands -, en traitant de ce qui a entraîné les dirigeants et les populations allemands, italiens et français à commettre de tels actes. Quelle est la pertinence de cette section dans un musée consacré aux soldats et aux forces alliées ? C’est que tout au long de la visite, on nous lance nombre de détails comme des photos ou des armes qui nous rappellent la mort de milliers d’hommes pour combattre au nom de leur nation et de leur famille. Ne pouvait-on pas cibler l’attention du visiteur uniquement sur eux ? Était-ce pour démontrer que la guerre a touché les populations civiles également ? Si c’est le cas, je me serais néanmoins abstenu de traiter de ces événements, puisqu’il ne s’agit pas là de la mission première du Mémorial.

Illustration : Opératoin Overlord. Membres de la 8ème brigade d’infanterie canadienne, St Aubin-sur-Mer, 6 juin 1944. Image libre de droits, Wikimedia Commons

Le débarquement et les musées : partie 1. Introduction

Notre ami et collègue Maxime Paquette, candidat au doctorat en histoire en cotutelle Université de Sherbrooke / Université Bordeaux Montaigne, est actuellement en France pour des recherches dans les centres d’archives. Maxime effectue sa thèse sur les agents de renseignement français en Perse à la fin du XVIIIe. À l’occasion de ce séjour en Europe, il a visité plusieurs musées consacrés à la Deuxième Guerre mondiale et au débarquement et a souhaité faire partager quelques réflexions. Il nous fait très plaisir de lui laisser la parole pour plusieurs billets, à lire au cours des prochains jours.

Le débarquement de Normandie : Devoir de mémoire ou utilisation de l’histoire ? Questions soulevées par les commémorations et pendant une visite sur le terrain.

À la fin du mois de juin 2014, je suis allé visiter quelques sites commémoratifs liés au débarquement en Normandie lors de la Seconde Guerre mondiale. En tant qu’historien, ce voyage représentait une opportunité d’en apprendre sur le passé militaire du Canada, qui en est alors à ses débuts. En tant que Canadien, je tenais à contempler ces plages où nos valeureux ancêtres ont sacrifié leurs vies. Mon parcours m’a donc amené du Mémorial de la ville de Caen, aux différentes étendues de sable aux noms de code Utah Beach, Omaha Beach, Gold Beach et Juno Beach. J’ai terminé mon voyage au seul musée dédié exclusivement aux Canadiens tombés aux combats, soit le Centre de Juno Beach. Et je ne nomme pas ici les nombreuses possibilités de visites de musées consacrés à des aspects précis de la guerre, mais sachez seulement que vous pourriez passer une semaine sans les avoir tous explorés, tellement ils sont nombreux.

Au cours de cette expérience enrichissante, des questions ont commencé à germer dans mon esprit. À chaque nouvelle interrogation, je prends conscience qu’un flou entre le devoir de mémoire et d’histoire existe. La muséologie du débarquement, tout comme la commémoration du 70e anniversaire de cet événement s’engage dans cette zone d’ombre et c’est précisément sur ce point que portent nos chroniques sur le débarquement. Je vous invite donc à suivre mon voyage d’exploration sur les côtes normandes et à m’accompagner dans mes questionnements sur ces événements qui, certes, ne doivent pas être oubliés et sur lesquelles j’avance quelques hypothèses. Il s’agit ici d’une critique d’une source d’informations qui est accessible et destinée au grand public, et non pas à la communauté scientifique. Je souhaite faire comprendre que la vulgarisation de l’information, les commémorations, tout comme les choix effectués dans la mise en scène des expositions muséales jouent un rôle dans la mémoire et l’histoire.

Illustration : Soldats du Royal Winnipeg Rifles en Normandie, juillet 1944. Image libre de droits, Wikimedia Commons